Triathlon World Championships 2008!
Quelle expérience extraordinaire!
Malgré le temps de cochon qu’il a fait à Vancouver durant les Championnats du monde (pluie quotidienne et 12 degrés en moyenne), j’ai vécu ma plus intense expérience de triathlète. J’ai profité de chaque seconde ici comme d’un privilège exceptionnel.
Dès notre arrivée (3 jours avant ma course), nous avons été plongés instantanément dans l’ambiance. Tout le quartier ou nous demeurons – et notre condo est super bien situé – est envahi par des athlètes du monde entier. Nous croisons d’abord des triathlètes d’Afrique du Sud! Puis se succèdent les Australiens, les Tchèques, les Mexicains, les Kiwis de Nouvelle Zélande, les Japonais… Ils viennent de partout et portent fièrement, tout comme moi, les couleurs de leur pays. C’est génial!
Dès le premier soir, Éric et moi joignons l’équipe canadienne pour un premier entraînement de course à pied. Pas évident de comprendre le trajet que nous aurons à emprunter pour l’épreuve et personne – pas même l’entraîneur – ne semble en mesure de nous l’expliquer correctement. On se fait dire que le jour de la course, nous n’aurons qu’à suivre le troupeau!
Super préparation mentale! ;o)
Jeudi matin, entraînement vélo/course avec l’équipe canadienne. Il pleut à boire debout, il fait 9 degrés et l’eau de la mer avoisine les 10 degrés. C’est aujourd’hui l’épreuve des Juniors. En attendant les retardataires, nous encourageons les athlètes féminines qui en sont déjà à leur course à pied. L’une d’entre elles, et ce ne sera pas la seule, coure avec son casque de vélo sur la tête. Au début, on trouve ça rigolo puis on réalise que c’est parce que les athlètes ont les doigts gelés et qu’elles ne sont pas parvenu à détacher leur casque qu’elles courent avec! Le coach en profite pour nous suggérer de nous pratiquer à mettre et enlever notre casque sans nos doigts! Et il nous reparle d’hypothermie, encore une fois…
L’épreuve des Juniors nous empêche d’emprunter le circuit de vélo. Et ce ne sera pas aujourd’hui que je pourrai y rouler car le reste de la journée est rempli d’activités « protocolaires ». Disons que ma préparation s’annonce mal jusqu’à maintenant.
D’abord, il y a le lunch officiel de l’équipe canadienne. Wow. Une salle bondée par 600 athlètes canadiens! On y apprend que le défilé des athlètes est annulé à cause de la température. Puis, une annonce INCROYABLE qui me rend EUPHORIQUE : la distance de nage des athlètes olympiques sera réduite à 900 mètres afin de prévenir les hypothermies ! Moi qui suis une piètre nageuse, j’ai presque versé une larme de joie. Mais je suis très consciente que pour plusieurs athlètes ici, ce n’est pas une bonne nouvelle. Ceux qui excellent en nage et qui espéraient y prendre de l’avance sont extrêmement déçus. Je trouve que c’est vraiment injuste pour eux.
Après le lunch, c’est la photo officielle de l’équipe. Les athlètes entament spontanément l’hymne national.
Pour clore la journée, il y a le souper officiel des athlètes qui a lieu à l’Aquarium de Vancouver. Quelle idée fantastique.
LA COURSE DE JÉROME
Le vendredi matin, Éric et moi nous dirigeons vers la plage pour encourager Jérôme. On sent sa nervosité et je suis inquiète pour lui à cause de sa cheville. Je l’aide à zipper son wet et passe près de faire une syncope : son zipper se défait parce que je le remonte trop brusquement à son cou! Mon dieu! Je viens de scrapper sa course que je me dis! Pas de problème, qu’il me répond calmement, c’est fait exprès pour se détacher autant en haut qu’en bas!
Dès le coup de départ, nous nous dirigeons vers la zone de transition située 800 mètres plus loin pour l’encourager tout au long de l’épreuve. En longeant la berge, je constate que les embarcations pour assurer la sécurité des nageurs ne sont vraiment pas nombreuses. J’en fait la remarque à Éric qui me dit de ne pas faire de renforcement négatif. Il y a suffisamment d’embarcations selon lui… En fait, c’est ce qu’il me dit, mais il m’avouera plus tard, après mon triathlon, que lui aussi ça l’a inquiété!
Nous assistons aux deux transitions de Jérôme, à sa portion vélo et on lui crie des encouragements durant sa course à pied. J’espère que sa cheville ne le fait pas trop souffrir. Éric et moi le trouvons très courageux et déterminé.
Durant sa portion vélo, nous remarquons un jeune homme qui roule vraiment lentement suivi par un scooter. Ses bras tremblent. Ce n’est pas rassurant de le voir, il est visiblement en hypothermie. Quelques minutes plus tard, le Championnat du monde est terminé pour lui : il est transporté vers l’infirmerie. Ça me fend le cœur.
Nous nous dirigeons vers le fil d’arrivée mais Jérôme est plus rapide que nous! Il court à la vitesse de l’éclair, une vraie gazelle!
Lorsqu’on le rejoint, j’ai des papillons dans le ventre. Demain, ce sera mon tour!
CRISE D’ANGOISSE
Nous retournons au condo et pendant que j’essaie de faire une sieste, Éric va faire quelques commissions. Je n’arrive pas à dormir et je deviens de plus en plus anxieuse. La veille de mon événement, je ne connais ni le parcours de course, ni le parcours de vélo et je n’ai pas encore nagé dans cette eau glacée! La nervosité est à son comble et je ne peux contrôler une crise de larmes.
J’appelle ma copine Christiane à Montréal qui, je le sais, m’accompagne en pensées. Je tombe sur sa boîte vocale et lui laisse un message de panique, le sanglot dans la voix. Heureusement, je réussis à reprendre le contrôle avant le retour de mon amoureux. Je ne veux pas qu’il me voit dans cet état. Maintenant, ça presse, il faut que j’affronte l’océan.
Par solidarité, Éric enfile son wet lui aussi et me précède dans l’eau. Plusieurs athlètes nous ont confié que l’eau est si froide qu’après 5 minutes, on ne sent plus nos pieds et nos mains. La douleur disparaît donc. J'avance dans l'eau en analysant les sensations. Puis je me décide à mettre mon visage à l’eau et nage pour la première fois. Quoi? C’est juste ça? Oui, c’est « fret en ostie » mais je peux tout à fait vivre avec ça! Et de toute façon, ça ne prend pas 5 minutes, ça n’en prend que 2 et on ne sent plus rien! Me voilà rassurée! Mon sourire est revenu. Je sais maintenant que je vais réussir à terminer ma nage! Je n’ai plus de doute.
Nous nous dirigeons ensuite vers le circuit de vélo pour effectuer 2 boucles de reconnaissance puis j’amène mon vélo à la zone de transition. Je dois me séparer de lui pour la nuit… qui sera courte.
MON CHAMPIONNAT DU MONDE
Samedi matin, je me lève en chantant. Ça y est, c’est MON Championnat du monde. Je suis toute heureuse de constater qu’il fait 11 degrés! Wow il fait chaud aujourd’hui et il ne pleut pas malgré un ciel couvert. Il y a un peu de vent par contre et pour la première fois depuis notre arrivée, il y a des vagues dans English Bay…
Dans la tente ou j’enfile mon wet, j’apprends que l’eau est à 12,5 degrés Celcius et que j’aurai finalement 1100 mètres à parcourir à la nage. On m’aurait annoncé 1500 que ça n’aurait fait aucune différence pour moi. Je suis prête.
Je suis plutôt calme lorsque, sur la ligne de départ, je pose mes pieds sur le tapis ou est inscrit le numéro 49. Avec mes bouchons dans les oreilles, je ne suis pas certaine d’entendre le coup de départ. Dès que les autres femmes de mon groupe d’âge se précipitent, je fais pareil.
En l’espace de quelques secondes, je réalise l’ampleur des vagues. Je ne sens même pas la température de l’eau tellement elles me surprennent. Décontenancée, le souffle coupée, je me tourne sur le dos quelques secondes. Du calme Hélène, t’es capable. Je recommence à nager le crawl, enfin j’essaie car il faut lutter constamment contre les vagues. Je décide de mettre un pied au fond… Oups, je ne touche plus le fond. Ça y est. C’est pour de vrai maintenant. Dans ma tête, c’est le point de non retour!
La première bouée est à environ 150 mètres… Une bouée à la fois, Hélène… Une bouée à la fois. À ma droite, il y a un kayak et une femme qui se dirige vers lui. Déjà, les autres femmes de mon groupe d’âge ont pris leur distance devant. Nous sommes trois à l’arrière dont une femme aux lunettes roses qui semble à deux doigts de la panique. « You can do it », que je lui crie. Elle fait du surplace et regarde partout. « Une bouée à la fois », que je lui crie en anglais… Elle ne répond pas, alors j’ajoute : « We’ll do it together, OK? » Une bouée à la fois... Elle me répond finalement : « OK, but stay close to me. » À trois, nous repartons. Et à plusieurs reprises, ma nouvelle partenaire dont je ne saurai jamais le nom me crie : « Stay close to me »! ... Il est hors de question pour moi que cette femme ne termine pas sa nage.
Bizarrement, moi qui ai fait des crises de panique en eau libre par le passé, je me sens tout à fait calme. Je pense aux survivants du Titanic … Moi, j’ai un wet et je flotte. Y’en a pas de problème… Pourtant les vagues me malmènent et j’ai beaucoup de difficulté à avancer. Même si je suis tout à fait calme, il est clair que je suis présentement en mode survie. Je ne suis plus dans une course contre la montre… La seule chose qui compte pour moi, c’est de sortir de l’eau à la même place que toutes les autres. Ces autres qui ont d’ailleurs disparues de mon champ de vision. Nous ne sommes plus trois maintenant, je suis seule dans les vagues… loin derrière. Et dans mon champ de vision, il n’y a aucune embarcation. Et je n’ai verrai aucune jusqu’à ma sortie de l’eau.
Je pense à mon amoureux qui doit être en train de longer la rive… Je sais qu’il s’inquiète pour moi. Allez Hélène… une bouée à la fois. Les vagues me secouent et jouent avec moi comme un bouchon de liège, comme une bouteille à la mer. Mais j’ai un message d’espoir en moi. Il n’y aura pas de DNF (did not finish) à côté de mon nom.
Je pense à Christiane et à ce qu’elle m’a dit : je vais être à côté de toi. Alors tout va bien aller, elle est là, dans mes pensées.
Je pense à toutes sortes de choses. Je pense à mes 350 plongées sous-marines. Je me demande ce que ce serait que d’avoir mon équipement sur le dos et d’essayer de rembarquer dans un bateau avec les vagues. Je pense au plancton dans lequel je barbotte. Je souris quand le soleil vient me narguer et à chaque fois que je passe une bouée.
Puis mes pensées sont interrompues par une nageuse qui me dépasse et qui porte un casque vert. Le mien est bleu… Ça y est, les femmes de 40-45 ans, qui sont parties 10 minutes après moi, me rattrapent! Ayoye, ça fait longtemps que je suis dans l’eau! Alors je pense à Éric encore une fois. Il doit vraiment s’inquiéter… Il pense peut-être que j’ai abandonné… Sera-t-il là à ma sortie de l’eau?
Ça y est, voici la dernière bouée. De nombreuses nageuses au casque vert m’entourent. Nous tournons vers la droite afin de nous diriger vers le rivage. Ça va être plus facile maintenant, que je me dis, puisque j’aurai les vagues dans le dos. Mais je n’ai plus de pieds, plus de mains et j’ai l’impression que mes bras et mes jambes font un peu n’importe quoi. De plus, je me sens tout à coup très étourdie. La houle est pénible et je ne sais plus ou sont ma gauche et ma droite. J’essaie d’analyser ce que mon corps essaie de me dire. Est-ce que je suis en hypothermie? Je n’ai pas de frisson alors ça ne doit pas être ça. Je déduis que ça doit plutôt être le mal de mer.
Lorsque j’aperçois des nageuses se mettre à courir hors de l’eau, l’émotion m’étreint. Je dépose enfin un pied au fond! C’est fini! J'ai réussi! Il n’y aura pas de DNF à côté de mon nom. Peu importe mon classement, je pourrai fièrement écrire DNA : DID NON ABANDON!
VÉLO
Pas évident de courir quand on ne sent pas ses pieds. Ma transition est plutôt lente et étonnement, je n’ai pas les mains gelées. Aussitôt assise sur mon vélo, je réalise à quel point j’ai brûlé de l’énergie dans l’eau. Je me sens complètement vidée. Je mange rapidement quelques blocks pour obtenir un peu de glucides.
Pendant mes 40 km de vélo, je réussis à dépasser 2 femmes de mon groupe d’âge. Ça m’importe peu.
Le parcours dans Stanley Park est magnifique et assez exigeant. Tout à coup, j’aperçois un tandem. Assise à l’arrière, il y a une femme qui doit bien avoir près de 60 ans, plutôt ronde… UN TANDEM! Ça veut dire qu’elle est aveugle! L’émotion m’étreint et les larmes emplissent mes yeux. Elle a parcouru 1100 m dans les vagues AVEUGLE! Je me sens minuscule et insignifiante à côté d’elle! Et je pense à tous ces athlètes handicapés, avec un seul bras ou sans jambes qui ont affronté les conditions de la mer. Mon admiration est sans borne.
Durant mon dernier tour de vélo, je constate qu’il n’y a aucun homme sur le parcours. Bizarre…
COURSE À PIED
Je ne sens pas mes pieds lorsque je débarque de mon vélo et j’enfile difficilement mes souliers. Mes orteils ne reviendront à la vie qu’après 6 km de course à pied. Pour le moment, ce sont des roches au bout de mes souliers.
Courir est pénible. Les 21 km de mon demi-ironman étaient une partie de plaisir à comparer à aujourd’hui. Moi qui espérais maintenir mon pace du demi-marathon d’Ottawa (4:35), je peine à me maintenir sous les 5 minutes du km. Autour de moi, il n’y a que des femmes plus âgées. Je devrais avoir honte de ma performance mais je me concentre plutôt sur ma course.
J’aperçois un imposant groupe d’hommes qui semble attendre un départ. Je me demande bien ce qu’ils font là. Y a-t-il une épreuve de course à pied en même temps que les Championnats du monde? Impossible. Je continue ma course. Tout à coup, un immense peloton d’hommes se trouve sur mon chemin. Comment ça se fait que je n’ai vu aucun homme en vélo et qu’il y en a plein qui courent maintenant? Mystère et boule de gomme. Ce n’est qu’après ma course que j’apprendrai que 20 minutes après mon départ à l’eau, les Championnats du monde de triathlon se transformaient en duathlon. Malgré les conditions que j’ai affrontées dans la mer, je me sens extrêmement privilégiée d’avoir pu nager!
Mon troisième lap de course à pied achève et je me dirige maintenant vers le fil d’arrivée. Je suis extrêmement émue et ça me donne des ailes. Mon ordinateur Polar enregistre maintenant un pace de 3min 45 au km! Mon regard ratisse la foule. Je cherche le bénévole qui distribue des drapeaux canadiens. Ça m’en prend un absolument! Quand je l’aperçois, mes yeux se remplissent, je lui arrache ce précieux (et quétaine, je le sais!) souvenir et je le franchis, ce fameux fil d’arrivée.
Un moment unique qu’il est difficile de décrire et de partager.
J’étais tellement bouleversée que les bénévoles pensaient que j’avais besoin d’aide médicale. Non, non, c’est pas ça... Je n’arrêtais pas de pleurer alors j’ai demandé à la bénévole qui me soutenait : « Est-ce que je peux avoir un hug? » « Off course », qu’elle m’a dit en me serrant dans ses bras. C’est probablement la personne que j’ai serrée le plus fort dans ma vie. « She just want a hug » !, a t-elle dit aux autres. Alors une deuxième femme s’est approchée pour me prendre elle aussi dans ses bras.
J’ai peut-être terminé 74 sur 76 mais il y a eu 3 abandons à la nage dans mon groupe d’âge et je n’en fais pas partie.
Pierre Svartman, je m'adresse à toi: je peux te garantir que je suis sortie de ma zone de confort durant cette nage!
I am a survivor.
P.S. Lors de la cérémonie de clôture, je me suis amusée comme une petite folle… à échanger mes vêtements avec les autres athlètes du monde! Je ne connaissais pas cette coutume. Mon manteau de l’équipe canadienne valait de l’or mais il était hors de question que je m’en sépare. J’ai plutôt échangé mon t-shirt de l’équipe contre un maillot de triathlon une pièce de l’équipe de Grande-Bretagne! Une triathlète canadienne qui a assisté à la transaction était verte de jalousie.
J’ai ensuite obtenu le magnifique chandail de vélo de l’équipe espagnole (youppi!) contre un chandail de triathlon Canada. Et finalement, j’ai même réussi à échanger ma casquette du Championnat (tous les athlètes en avaient reçu une) contre un chandail de l’équipe sud-africaine! Comme ce sont les premiers athlètes que j’ai croisés en arrivant ici, je voulais vraiment en obtenir un. Je suis ravie! ;o)
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