Niagara Falls, 28 oct 2007
Levée aux aurores, dimanche matin, je me rends prendre l'autobus qui transportent les marathoniens vers Buffalo. Il est 7h15 quand j'embarque et le départ de la course n'est qu'à 10h00. On traverse une première fois la frontière et on se rend à un magnifique musée qui nous accueille en musique. Les organisateurs ont pensé à tout: nous sommes au chaud, on a de l'eau et des autobus ramènent nos effets vers la ligne d'arrivée.
Je me promène à travers les gens avec une pancarte dans les mains. Recto verso on peut lire: LOOKING FOR PACE BUNNY 3H30. Ça crée des liens instantanément ! Des dizaines de personnes viennent me parler. Certains pensent que JE suis le lapin! Non, non, je CHERCHE le lapin! Deux coureurs me demandent de les prévenir si je le trouve, ils visent le même chrono. Une dame me demande s'il y a un lapin pour 6h00... «Je suis sérieuse», me dit-elle! Et finalement, un homme vient à ma rencontre. Il s’appelle Brian et m'offre de me joindre à son groupe. Brian n'est pas le lapin officiel (je ne le verrai jamais d'ailleurs), mais il devient MON lapin et je lui fais confiance instantanément. Ma nervosité étant très apparente, Brian m’entoure de tous les soins dès le premier instant. Un vrai papa poule, il me couve comme s'il m'avait pondue!
Il me présente Jed et Bruce et nous prenons le départ tous les 4 en suivant ses conseils. Nous ferons un split négatif, me dit-il (1er moitié plus lente que la seconde) et ça me va tout à fait.
Le quartier résidentiel de Buffalo à travers lequel nous parcourons les premiers miles est magnifique. Puis nous retraversons la frontière vers le Canada. Amusant! C'est probablement la première et la dernière fois que je traverse une frontière en courant!
Il fait soleil, quelques petits nuages, 9 degrés. Je suis en camisole et en cuissard. Seules mes mains ont froid. Brian m’offre ses gants à plusieurs reprises. Ça se corse après avoir traversé la rivière Niagara. Les nuages s'épaississent mais surtout, surtout... le vent se lève. Les rafales ne sont pas de tout repos. Nous longeons la rivière et sommes à découvert pour la totalité du parcours. Je me sens coupable d'utiliser mes copains pour me protéger. Et je m'en excuse à plusieurs reprises. Ils ont l'air très sincère quand ils me répondent que ça leur fait plaisir et ils serrent les rangs autour de moi pour me couvrir. Ça me touche beaucoup. Je me sens minuscule entre ces 3 grands gaillards.
Pendant mon 21e km, je pense à Cynthia comme je lui avais promis. Puis au 22e, je réalise que je ne me sens pas aussi bien qu’après mon dernier demi-marathon... pourtant, je cours 15 sec. plus lentement au km... Au 26e km, un petit doute s'installe dans ma tête mais je m'accroche à mes co-équipiers.
Jod tousse constamment et je m'inquiète pour lui. Il ralentit imperceptiblement mais je sens que nous perdons un premier compagnon. Brian nous fait signe de continuer, il nous rejoindra. Il reste derrière avec Jod un moment pour le soutenir moralement.
Je forme maintenant un duo avec Bruce. Sa conjointe et sa fille le ravitaille en eau et avec des oranges tout au long du parcours. Nous les croisons à plusieurs reprises. Ils nous filment à chaque fois et Bruce me confie que les images seront sur Youtube dans les prochains jours.
Il y a beaucoup d'ambiance tout au long du parcours. Les bénévoles sont très dynamiques et hyper stimulants. Plusieurs sont déguisés pour l'Halloween. Au début, je souris à tout le monde et j’envois la main aux enfants que je croise mais tranquillement, je sens mon visage se crisper.
Vers le 30e km, Bruce me demande comment ça va. Je lui répond: «I don't know...» Il y a un long silence. Je me sens triste... Puis j'ajoute: «Keep going, don’t let me slow you down. I won't make it.»
J’ai l’impression d’être dans un film de guerre ou les combattants meurent les après les autres. Et on dirait que mon tour approche.
Je m'accroche à lui encore 2 km puis il me distance. C'est un moment difficile pour moi. Je ne souris plus.
Le vent est devenu mon ennemi.
Peu de temps après, Brian me rattrape et m'encourage. Il me dit que j'ai juste 2 minutes de retard sur le chrono visé. «Keep going, you're doing fine» ajoute-t-il en me disant que ma position est bonne. Comme j'ai la larme facile... je me sens devenir émotive mais j'espère secrètement que ça ne paraît pas. Je l'invite à rattraper Bruce. Il me tient compagnie encore un moment. Je le remercie avec émotion à plusieurs reprises pour ce qu'il a fait pour moi. Puis on se sépare. Mon papa poule s'en va. Je le regarde s'éloigner et je me sens tout à coup très seule.
David Durocher m'avait mis en garde. Je suis tombée dans le piège que je me suis moi-même tendue! J'ai voulu atteindre un objectif exigeant et précis et en cours de route, j'ai perdu cet émerveillement enfantin qui m'accompagne habituellement dans mes courses. Finie «la magie de la course» dans mes yeux comme tu disais, David, après mon demi-ironman.
Il reste 10 km à parcourir. Je me dis: «Voyons Hélène! 10Km t'es capable de courir ça facilement!» Mais je ne me trouve pas très convaincante! Heureusement, ce n’est pas une descente aux enfers comme j'ai connu au marathon de Cumberland l'an dernier mais je fais quand même fait un petit tour au purgatoire en frappant le mur!
Mon chum m'a régulièrement répété durant ma préparation pour Niagara que mon 1er objectif était de me qualifier pour Boston. Très prévoyant, il m'a ramassé 2 «pace bands» à l'expo la veille du départ: celui de 3h30 - objectifs chrono ... et celui de 3h45 - objectif Boston. (Pour les néophytes, des pace bands ce sont des bracelets qui donnent les temps de passage pour chaque km ou chaque mile pour une distance donnée. On peut ainsi vérifier sa vitesse au fil du parcours). Quand j'ai finalement accepté que je n'atteindrais pas 3h30, j'ai changé de bracelet.
Ma vitesse chutait et j'avais un peu de difficulté à me concentrer pour calculer mais au moins, je me qualifierais pour Boston.
Avec l'aide des gens qui m'encourageaient, j'ai réussi à reprendre un peu de vitesse pour les 2 derniers km. La foule à l'arrivée m'a fait monter les larmes aux yeux, encore une fois!
J’ai finalement franchit le fil d’arrivée en 3:38:38. C’était très intense intérieurement.
Brian et Bruce ont franchit le fil d’arrivée ensemble en 3h34. Jed, celui qui toussait, en 3h46. Je vais me rappeler d’eux longtemps. J’ai vécu une expérience de camaraderie fantastique avec eux. Nous avons vraiment formé une équipe.
Lorsqu’on croisait un photographe officiel, on se collait tous les 4 pour qu’il nous prenne en photo de groupe. Je vais acheter ces photos-là, c’est sûr!